KUALA CENAKU (AFP) - Debout au milieu de troncs noircis par le feu, Mursyid Ali embrasse du regard un vaste espace où se dressait récemment une luxuriante forêt équatoriale.
Ce chef du village de Kuala Cenaku du centre de l'immense île de Sumatra se lamente sur les majestueux arbres disparus, sur la terre drainée et brûlée, sur la rapacité des responsables locaux et de la société qui a tout rasé ici.
Dopée par la corruption et l'incapacité des autorités, la déforestation atteint des records en Indonésie, archipel qui compte les plus grandes réserves mondiales de forêts naturelles avec le Brésil et le Bassin du Congo.
A cause de la destruction de ses tourbières et des vastes incendies qui ravagent chaque année ses régions défrichées, le pays est devenu le troisième producteur de CO2, principal gaz à effet de serre, après les Etats-Unis et la Chine.
Nul doute que ce problème sera souligné en décembre à Bali lors de la conférence des Nations unies sur le climat, au cours de laquelle Jakarta compte exiger de la communauté internationale un engagement financier pour freiner la catastrophe en cours.
Des images satellite du Fonds mondial pour la nature (WWF) montrent qu'il y a à peine 25 ans, la majorité de la grande province de Riau, où se trouve le village de Mursyid, était couverte de forêts primaires. Aujourd'hui quatre millions d'hectares, soit plus de 60% de la superficie, ont disparu.
Le paysage est sacrifié pour laisser place aux plantations de palmiers à huile, souvent considérées paradoxalement comme des bienfaits écologiques.
Mursyid Ali en veut à la société indonésienne Duta Palma, dont deux filiales ont obtenu en 2004, du chef du district, le droit de raser les forêts autour de son village. Duta Palma s'était engagée à offrir du travail et 40% du contrôle des terres aux villageois locaux.
Mais la société a trahi ses promesses, dénonce Johny Setiawan, de l'ONG les Amis de la Terre.
Selon lui Duta Palma a défriché en ne pensant qu'à son intérêt personnel, provoquant par ailleurs de longs incendies aux fumées étouffantes. Les protestations des habitants sont restées sans effet.
"Qui peut exercer une pression sur cette société? Seuls le peuvent le chef du district et le gouverneur, pas de simples citoyens comme nous. Nous protestons tant que nous pouvons, mais ils nous accusent d'être des anarchistes", lance M. Ali.
Selon M. Setiawan, le chef du district, Raja Thamsir Rachman, avait annoncé en 2005 un gel de la déforestation tant que le conflit ne serait pas réglé. Pourtant, le jour de la visite du journaliste de l'AFP, de gros engins continuaient à déblayer les troncs aux alentours.
Sollicité à plusieurs reprises, Duta Palma a refusé toute rencontre. D'autres compagnies acceptent elles de s'exprimer.
Dans le centre de Sumatra opèrent deux géants mondiaux de la production de pâte à papier, le groupe Asia Pulp and Paper (APP) et le groupe Asia Pacific Resources International Holdings Ltd (APRIL).
Ces deux sociétés contrôlées par des magnats d'origine chinoise font chacune partie d'un conglomérat contrôlant une nébuleuse d'entreprises, dont des plantations d'huile de palme.
La police nationale indonésienne, après avoir enquêté sur la déforestation illégale dans la province de Riau, a diffusé une liste de 14 exploitations suspectes, toutes liées par contrat avec APP ou APRIL. Les deux géants affirment pourtant ne pas utiliser d'arbres illégalement coupés.
APRIL tente de redorer son image, en négociant avec le WWF une extension du parc national de Tesso Nilo, où vivent encore des éléphants et des tigres sauvages.
Mais en même temps elle a construit en 2004 une route le long du parc, aujourd'hui utilisée par des villageois qui empiètent sur le parc pour y planter des palmiers à huile.
Selon Greenpeace, une surface boisée équivalente à trois cents terrains de football est défrichée toutes les heures en Indonésie.